Je pousse la machine sans cesse, les yeux baissés, et elle fait son travail toute seule. Mes doigts s’agitent légèrement, pour ne pas que je m’endorme, pour ne pas que je parte en arrière, pour ne pas qu’on me remarque. J’ai les paupières lourdes et les bruits d’accouchement me donnent mal au crâne. Les maris, inquiets, sont là. Ils attendent. Je n’y fait pas attention. Il y a bien longtemps que j’ai appris à ne plus remarquer ces choses-là, ces choses qui fâche ou me font souffrir. Eux je ne les vois pas. Ce que je vois, c’est elle. Son visage baigne dans la lumière, elle se penche vers enfant, elle pleure. Et elle n’en a pas honte. Elle n’a plus honte de rien. Parce que cet enfant, c’est la dernière chose qu’elle a.
FLASH BACK
Les larmes coulaient le long de ses joues, tel un flot intarissable. L’enfant, dans ses bras, gémissait, et elle le protégeait. Salaud, salaud, salaud ! Elle le haïssait. Son cœur n’était plus qu’un ramassis de poussière, et désormais, elle n’avait plus rien à perdre. Tant pis. Ce soir, elle rentrerait chez lui, dans cet endroit où elle avait tant de fois fondu ans ses bras. Ce soir, il ne serait pas là, parce qu’il sera partit ailleurs, loin, comme il l’avait promis. Mais tant pis. C’est là qu’elle habiterait. Elle n’avait pas le choix, après tout. Elle y resterait aussi longtemps que possible, elle trouverait un boulot, elle paierait son loyer, elle élèverait sa fille… Comme si elle avait déchiffré ses pensées, la petite tendit une main vers la joue de sa mère, qui se laissa faire. Un frisson d’horreur parcourut la jeune femme quand sa fille ouvrit les yeux. C’était les mêmes que ceux de son père.
FIN DU FLASH BACK
Je me force à rouvrir les yeux. La machine, silencieuse, trace son chemin en laissant le sol propre derrière elle. J’ai une envie folle d’appuyer sur le bouton rouge qui sert à l’arrêter, de me retourner et de prendre la petite dans ses bras. J’ai envie de souhaiter bonne chance à sa mère, de lui dire que tout finit par s’arranger, un jour ou l’autre, que la petite s’habituera rapidement a ne pas avoir de père. J’inspire profondément et continue mon chemin visqueux de propreté. Je me mors la lèvre inférieure et leur souhaite bon courage, très fort, par pensée.
J’ai décroché de boulot il y a à peine un mois. C’était mieux que rien, en attendant que je finisse mes études et que je puisse vivre ailleurs qu’aux crochets de ma mère. Je ne sais pas pourquoi, mais cet hôpital me rappelle des souvenirs, dont certains que j’aurais aimé effacer de ma mémoire.
FLASH BACK
- Eulalie ! Eulalie !
Elle entra en trombe dans une petite pièce, les cheveux en bataille, le visage rougeaud, le manteau mal boutonné. La petite blonde redressa la tête avant de grimacer et de la laisser retomber sur l’oreiller.
- Bon sang, mais tu as complètement perdu la tête, ou quoi ? Tu savais très bien que ce n’était pas en un jour que tu allais devenir une bête en rollers !
La petite senti les larmes lui monter aux yeux. C’était injuste. Elle souffrait, elle avait mal partout, surtout à la jambe, d’ailleurs, et puis elle voyait flou, et la seule chose que faisait sa mère, c’était de l’engueuler. Elle l’avait attendue patiemment, tout le temps, elle avait attendu que sa mère arrive, elle avait guetté ses pas et avait espérer voir son imperméable apparaître. Et puis, sa mère ne semblait même pas s’en rendre compte. Eulalie ferma les yeux. Elle se remit à discuter avec son père imaginaire, qui lui, lui demandait si elle allait bien, la serrait dans ses bras et apaisait sa douleur. La vie est injuste, se dit-elle.
FIN DU FLASH BACK
Je souris en me remémorant ceci. Combien de fois avais-je parlé avec lui ? Au moins une dizaine de fois, oh que oui. Tout ce que je savais, à l’époque, c’était qu’il s’appelait Hampton, et que mon deuxième prénom venait de lui Parce que sa défunte sœur avait eu ce prénom, et qu’il aurait aimé lui rendre hommage en donnant ce prénom à sa fille. Il enniaiser parlé une fois à ma mère. Alors, quand je me disputais avec ma mère, ou, tout simplement, quand j’en avais assez d’être la fille monoparentale et monocorde, je m’asseyais et je parlais avec lui, dans ma tête. Comme tous ces gamins qui ont un ami imaginaire. Moi, j’avais un père imaginaire, et jamais je ne me serais doutée qu’il puisse être réel.
FLASH BACK
-Hey, Eulalie, tu viens ?
La jeune fille se retourna. Le beau brun ténébreux, légèrement penché vers elle, attendait sa réponse. Elle eut un sourire et haussa les épaules. Il soupira et tendit la main. Elle lui prit en souriant un peu plus et lui emboîta le pas.
-Tu m’emmènes où, ce soir ?
-Les Harper sont en vacances, et Jono sait comment rentrer sans se faire prendre. On va faire une petite fête et on dira que c’est leurs enfants !
Eulalie laissa échapper un rire cristallin. Son nouvel appartement était encore plus petit que le précédent ; au ras des toits, avec uniquement quatre fenêtres. Elle et sa mère avaient été contraintes de libérer l’ancien a cause du père de la jeune fille, le propriétaire, qui voulait le vendre. Eulalie s’était demandée si il allait venir. Une fois de plus, il l’avait déçue. Depuis, petite rebelle joyeuse, elle se laissait trimballer par ce jeune homme qui la sortait de ses idées sombres et blessantes. Elle n’avait pas peur d’entrer d’entrer dans cette propriété. A vrai dire, elle était désormais dans un âge ou on ne réfléchit pas et où on a peur de ce que vont dire nos parents, pas de ce qu’il peut arriver.
Accueil 
quinze juillet à Bridge port (connecticut)
